MESSAGE DE FATSHI : SYLVESTRE ILUNGA, LE ‘’TRIBALISTE DESIGNE’’

« Designated survivor » (le survivant ou successeur désigné) est, aux Etats-Unis d’Amérique, un membre du cabinet présidentiel choisi par le Président pour ne pas assister à un événement où se trouvent simultanément réunis le chef de l’État et les principaux représentants du pouvoir. Ce survivant désigné est appelé à assumer les fonctions de Président en cas de disparition de celui-ci et du reste de son cabinet, ainsi que de toute la hiérarchie institutionnelle centrale.

« Designated survivor », c’est aussi cette célèbre série américaine inspirée du roman de Tom Clancy, « Sur ordre », dont le scénario est bien connu. La série met en scène un Secrétaire d’Etat américain qui prend le pouvoir après la mort, dans ce qui s’avèrera un attentat, du Président et de tout l’establishment institutionnel américain. Plus loin dans la série, on se rend compte que l’attentant était monté par un lobby qui avait pour objectif de se désigner une personnalité malléable pendant la période de soudure vers les élections afin de faire passer certaines lois et, d’autre part, créer des conditions pour faire passer un Président de son obédience.

Aujourd’hui, toutes choses restants égales par ailleurs, et en attendant le développement de l’actualité, la situation politique en RDC ressemble, à s’y méprendre, à cette série, mais autour, cette fois-ci, d’une majorité à retourner ainsi que les institutions qui vont avec. Des intrigues autour du contrôle du pouvoir mettent bien en scène des « morituri » désignés, ceux-là qui sont destinés à être « déposés » pour créer plus de marge de pouvoir à d’autres. Cette perspective, qui s’évoquait depuis bien de semaines, a pris meilleur corps depuis que, dans son discours de mercredi dernier, le chef de l’Etat a annoncé une « Union sacrée de la nation ».

Au nombre de ces « morituri », Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Le Premier ministre est cité sans détour ni fard parmi ceux qui sont appelés à démissionner, et, avec lui, son gouvernement, à la faveur d’une gouvernance refondée qui découlera des consultations imminentes. En attendant d’y arriver, le Premier ministre est l’objet d’une sollicitude bien particulière de tous ces affidés du tshisekedisme qui lui indiquent la porte de sortie à coup de diabolisation.

Au centre de la campagne : les accusations de tribalisme dont Ilunkamba est affublées sur base de la composition de son cabinet. Celui-ci serait truffé, selon ceux qui ne veulent plus de lui, de Katangais en général et de son Tanganyika natal en particulier. Bref, une façon de couvrir des maux, dont celui de tribalisme, une haute personnalité dont on veut se débarrasser.

A la Primature ce mardi 27 octobre 2020, ces offensives, peut-être d’emmerdement maximum pour faire sortir le « Pépé » de ses gongs, ne passent pas inaperçues du personnel et des membres du cabinet, toutes catégories confondues. Paradoxalement, cependant, c’est des bouffées de rires qui fendent le silence monacal qui règne ici d’habitude. « On voit bien qu’ils ne le connaissent pas du tout et ne connaissent même pas la Primature », s’exclame, entre deux fous rires, un conseiller qui vient de capter un tweet de la même veine.

Les comptes faits, on finit vite le tour du propriétaire de la bâtisse blanche de l’avenue Roi Baudouin à Gombe. Depuis qu’il est aux affaires, Sylvestre Ilunga n’a pas encore plus de 66 proches collaborateurs, du Ministre près le Premier ministre (originaire du Sankuru) au dernier chargé d’études. L’un d’entre ces heureux élus confie, sérieux, qu’«en composant son cabinet, qui est encore incomplet du reste, le ‘’Premier’’ est très à cheval sur le principe de la représentativité nationale prévu dans la Constitution pour le Gouvernement et qu’il applique, mutatis mutandis, pour son cabinet ». L’article 90.4 stipule, en effet, que « la composition du gouvernement tient compte de la représentativité nationale ».

Et comme dans un jeu de rôle, les conseillers défilent les uns dans les bureaux des autres pour décliner, chacun, son origine provinciale. L’un  va saluer le Directeur de cabinet qui est du K    asaï. Il passe ensuite chez le Directeur coordonnateur du cabinet, un kasaïen du centre, avant d’aller déposer un document chez le Dircaba chargé des questions politiques, administratives et juridiques qui, lui, est de l’Equateur. Le collègue de celui-ci, en charge de l’économie et finances, est du Sud-Kivu, tandis que son voisin des Infrastructures est un digne fils du Haut-Katanga. Le dernier Dircaba, éminent professeur en charge du socioculturel, est le seul parmi les quatre autres à être du Tanganyika comme le Premier ministre.

Ces Diracaba ont en charge des collèges de conseillers chapeautés chacun par un Conseiller principal. « C’est à partir d’ici que des cases restent encore vides, alors que, membre d’une vaste famille, le Premier ministre a toute la latitude de caser les siens et leur offrir de belles situations », relève, pensif, un autre cadre.

Un CP du Premier ministre a, en effet, rang de Vice-ministre. Qui ne rêverait pas de tels postes, même au prix de faire perdre le sommeil à Ilunkamba pour en décrocher un ? Parmi les heureux élus à ce jour, on compte le patron de la Com’ et porte-parole du Premier ministre qui est un pur produit de la Mongala. Son collègue des finances est un autre fils du Sud-Kivu (ça fait deux).

Celui chargé de la sécurité est un autre kasaïen du centre, ce qui en fait deux également pour cette province. Et tout à côté, du Kasaï voisin vient un autre CP, alors que l’Equateur en compte aussi un, autant que le Lualaba. Et l’Equateur se retrouve aussi une deuxième fois parmi les Conseillers principaux.

L’énumération se poursuit ainsi sur le bord du fleuve Congo dans une ambiance bon enfant, tandis que dans les réseaux sociaux, journalistes, communicants, maîtres insulteurs de tous âges et qui sait-on encore, s’escriment dans leur sarabande de mise à mort avant la guillotine politique promise au « tribaliste désigné ». Pendant ce temps, le « Pépé » préside calmement la réunion du comité de conjoncture économique, un rituel de tous les mardis à la Primature.

Jonas Eugène Kota

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