Eau à Kinshasa : l’exaspération des « bidons jaunes »


Dans le temps, la problématique d’eau potable à Kinshasa était le triste apanage d’un coin de la ville bien connu, localisé sur les hauteurs de Ngaliema et Mont Ngafula, à l’Ouest vers l’ex Bas-Congo, aujourd’hui Kongo Central : Ion, Pigeon, Sanga Mamba, etc. De là chaque matin, en effet, des familles entières, même celles nanties, embarquaient des bidons et des tonneaux
à bord de leurs véhicules pour aller puiser de l’eau soit à leurs lieux de services à la huppée Gombe ou, carrément, auprès de leurs frères et sœurs prolétaires des bas quartiers de Ngiri-Ngiri, Makala, Ngaba, Matonge, Mombele, Bon marché, etc.
Aujourd’hui, riches et pauvres, des quartiers huppés ou des zones de pauvreté sont désormais égaux sous le robinet, comme les hommes aux tombeaux. L’avantage, au moins, est que les prolétaires ont l’occasion
de voir assez régulièrement leurs frères d’en haut de en haut qui les prennent difficilement au téléphone, fuyant les demandes sur leurs besoins sociaux de base…
Il faut parfois voir le bon côté des choses… même dans le drame…
A pieds, avec des charrettes (pousse-pousse), des brouettes ou à bord des grosses cylindrées donc, les Kinois arpentent les rues, trimballant des bidons jaunes à travers la ville pour chercher le
précieux et vital liquide. Il est alors devenu courant, ce spectacle ces bidons alignés en longues files le long des murs de clôture comme les kinois aux arrêts, attendant un hypothétique bus.
Car, à Kinshasa, l’eau est devenue aussi hypothétique au robinet. Les enfants, qui trainent à la maison pour cause du covid-19 qui les a éloignés de l’école, s’en accommodent et en arrivent même à faire des concours sur qui dira approximativement si l’eau va couler et quand. Les indices, pour eux, sont soit l’air qui souffle dans la tuyauterie, soit le gargouillis qui s’échappe du robinet quand on l’ouvre.
Si, aujourd’hui, ils parcourent des kilomètres pendant la journée avec des récipients sur la tête, sous les aisselles ou à la main, ces
Kinois ont, depuis belle lurette, appris à partager leur temps de sommeil la nuit entre la prière et la veille du robinet. Même allongés sur le lit, ils sont tout ouïe dehors, scrutant le moindre bruit de l’écoulement de l’eau au robinet qui est entouré, en permanence, de récipients.
Mais depuis des mois, ces attentes sont devenues vaines, et les Kinois les ont reportées sur dame la pluie. Désormais donc, comme les polygames ayant au moins deux foyers, les Kinois répartissent leurs
bidons jaunes entre le robinet et les dessous de la lisière des toitures. Ils espèrent ainsi recueillir l’eau de pluie quand le ciel, devenu désormais providentiel, daigne s’en délester.
Au milieu de tout ce désarroi, les Kinois à la diète assistent, médusés, à la macabre campagne médiatique de la Regideso et
ses différents projets de construction des nouveaux centres de traitement d’eau dans la ville. Statistiques en mains, ils brandissent
avec ostentation le gap à combler pour satisfaire le besoin en eau potable de la ville. Mais ils oublient que la capacité disponible, ou censée l’être, ne profite à personne, puisque le robinet est sec en
général, et tout écoulement de l’eau une exception.
Cela en rajoute à l’exaspération des « bidons jaunes » dont les récriminations, mêlées à leurs lamentations, sont devenues comme une bouteille jetée… à la mer. Quelle macabre ironie !
Jonas Eugène Kota

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