COMPRENDRE L’« IRRESPONSABILITÉ » DU CHEF DE L’ETAT (Décryptage)

Le chef de l’Etat a-t-il engagé sa responsabilité à travers ses ordonnances de nomination des mandataires au sein de la Gécamines et la Sncc ? Les éclats de voix et toute la violence consécutifs au débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale semblent avoir occulté (délibérément, selon toute vraisemblance) cette question au profit d’autres considérations politiquement existentielles sur le sort des uns et des autres à travers la coalition de gouvernement qui lie le FCC – plate-forme majoritaire – et CACH – plate-forme présidentielle.

Pourtant, de la compréhension de ce qui s’est passé avec ces ordonnances et leur signification légale sur le présent immédiat et l’avenir dépend le sens même de ce que devra être la vie au sein du ménage de gouvernement FCC-CACH. Ceci en ce qu’il s’agit bien de partager une identité de compréhension de la place qui est censée revenir à chacun selon les dispositions constitutionnelles qui sont bien au-dessus des arrangements politiques. Il s’agit de faire clairement la part des choses entre les engagements privés des uns envers les autres et les obligations de tout le monde devant la loi et face à la chose publique qui n’est le bien de personne, qui qu’il soit.

 

Responsabilité, irresponsabilité : comprendre les concepts

Avant toute chose, il faut commencer par comprendre le concept de « responsabilité » comme « le devoir de répondre de ses actes, toutes circonstances et conséquences comprises, c’est-à-dire d’en assumer l’énonciation, l’effectuation, et par suite la réparation, voire la sanction lorsque l’attendu n’est pas obtenu » (définition partagée par wikipédia). En droit constitutionnel, la responsabilité (politique) se décline comme l’« obligation, pour le titulaire d’un mandat politique, de répondre de son exercice devant celui ou ceux de qui il la tient ».

Par contre l’« irresponsabilité » se définit tout simplement comme une « absence de responsabilité morale ou légale ». Le droit constitutionnel met en exergue le chef de l’Etat en définissant le ce concept d’irresponsabilité comme un « privilège en vertu duquel le chef de l’État est soustrait au contrôle juridictionnel et parlementaire dans l’exercice de ses fonctions, sauf dans le cas de haute trahison ».

Cependant, et en revenant sur la définition de la responsabilité, la compréhension de la portée de l’acte du chef de l’Etat doit être mise en rapport avec l’organisation politique et institutionnel dans laquelle « le titulaire d’un mandat politique » tient cette responsabilité de son mandant. Dans le cas d’espèce, le mandant sous examen n’est autre que le Parlement qui désigne le mandataire dans le chef du Gouvernement (Premier ministre et membres) qu’il investit. En d’autres termes, le Gouvernement et les autres autorités assumant des fonctions exécutives sont comptables de leurs actes devant leur mandant qu’est la représentation nationale.

 

« Responsabilité » et « irresponsabilité » face aux mécanismes institutionnels selon la constitution

Pour revenir au cas des ordonnances querellées, il faut noter qu’en plus de ce dispositif institutionnel et constitutionnel qui répartit les responsabilités, il existe un mécanisme, un cheminement par lequel ces responsabilités sont, à chaque étape, identifiées dans le chef des uns et des autres pour que nul n’en ignore. Lorsque la Constitution (article 79) prévoit la désignation des mandataires par délibération en conseil des ministres et que ces mandataires sont nommés par le chef de l’Etat sur proposition du Gouvernement à travers le Premier ministre, et lorsque le chef de l’Etat signe les ordonnances de nomination avec le Premier ministre, toutes ces étapes apparemment anodins portent une grande signification en ce qu’ils identifient et soulignent le (s) porteur (s) de la responsabilité et, plus loin, celui qui devra répondre des actes de ces mandataires.

Et le chef de l’Etat signe ces ordonnances en sa qualité de garant de la continuité de l’Etat du bon fonctionnement des institutions. Concrètement, il se pose simplement comme une garantie de la conformité de cet acte de nomination et non comme comptable.

 

Le chef de l’Etat et sa responsabilité face aux ordonnances querellées

A la lumière de ces précisions, la question qui mérite à présent d’être posée est la suivante : en signant seul, et dans les conditions que l’on connait, les ordonnances de nomination des mandataires à la Sncc et à la Gécamines, le chef de l’Etat s’est-il maintenu dans l’espace de son confort d’irresponsabilité ? L’on constate que le Président de la République a choisi (délibérément ?) de prendre des libertés avec toutes les précautions protectrices que lui confère l’article 79 pour nommer directement des mandataires. En ce moment, et tout à fait logiquement, il devrait être censé avoir perdu toute couverture ou tout privilège d’irresponsabilité, et engagerait, dès lors, sa responsabilité personnelle. Ceci pourrait être d’autant plus visible lorsqu’il pourra, par exemple, s’agir d’interpeller ces mandataires qui, logiquement, ne relèvent pas de l’autorité d’un exécutif qui n’a participé ni à leur désignation, ni à la proposition de leur nomination et moins encore à leur nomination effective comme en témoigne l’absence du contreseing du Premier ministre sur les actes (ordonnances) ad hoc.

A ce titre, ne fut-ce qu’à ce titre, le chef de l’Etat s’est, de lui-même, exposé à l’obligation d’un contrôle, déjà s’il faut juger de la conformité de son acte avec la Constitution. Dès ce moment, en effet, le chef de l’Etat s’est exposé au « devoir de répondre de ses actes, toutes circonstances et conséquences comprises, c’est-à-dire d’en assumer l’énonciation, l’effectuation, et par suite, la réparation, voire la sanction lorsque l’attendu n’est pas obtenu ». Et ce n’est pas en frappant cet acte de l’épithète « administratif » tendant à le banaliser pour des raisons bien évidentes, que l’on occulterait sa « gravité » en termes de signification et de portée juridique et historique face à son auteur.

Bref, nous sommes ici en face d’un dangereux (fâcheux ?) précédent que l’on ne pouvait (devait) pas solder dans l’orgueil des uns et des autres en voulant faire l’autruche face aux évidences de la nouvelle configuration politique au sein des institutions ; coalition ou cohabitation, peu importe…

Jonas Eugène Kota

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