GRATUITÉ DE L’ENSEIGNEMENT : LA RENTRÉE TANGUE

Les observateurs estiment que si le principe de la gratuité de l’enseignement de base est à applaudir, son effectivité ne devrait pas se décréter pour faire l’objet d’un commerce. Pour eux, elle devait être planifiée, notamment par une suppression progressive, selon leurs catégories, des frais autrefois payés par les parents pour donner au Gouvernement le temps de prospecter et réunir les moyens nécessaires après leur estimation globale sur au moins cinq ans. En attendant, la rentrée scolaire 2019-2020 tangue et personne ne pronostique sur sa poursuite jusqu’à la fin.

La République démocratique du Congo entame, ce lundi 9 septembre 2019, sa deuxième semaine sous le régime de la gratuité de l’enseignement de base après la rentrée scolaire intervenue le 2 septembre dernier. Une gratuité décidée par le Chef de l’Etat et entériné par le Gouvernement central au terme d’une table-ronde tenue à Kinshasa une semaine seulement avant cette rentrée. Cette table-ronde avait pour but d’explorer les impératifs inhérents à l’effectivité de cette gratuité, impératifs qui se résument en la prise en charge des frais autrefois payés par les parents au titre d’interventions ponctuelles.

Selon les estimations disponibles, la gratuité de l’enseignement de base nécessite un coût annuel de 2,6 milliards Usd, tandis que les quatre premiers mois de l’année scolaire qui s’est ouverte nécessitent une enveloppe estimée autour de 700 millions Usd. Ces montants englobent aussi bien les frais de fonctionnement que les documents et consommables divers, mais surtout la paie des enseignants.

A ce jour, en effet, un enseignant est officiellement payé autour de 70 Usd par l’Etat, alors que grâce aux frais d’intervention ponctuelle des parents, ces enseignants (surtout dans les écoles conventionnées) touchaient au moins 400 Usd en plus de ce salaire de l’Etat. Concrètement donc, il s’agirait, pour l’Etat de garantir ce droit acquis et même – et c’est l’attente des enseignants – de l’améliorer.

 

Grève larvée, rentrée à plusieurs vitesses

Face à cet enjeux de la reprise en charge de l’enseignement à la base, il s’observe, sur terrain, une rentrée à deux vitesses, si pas en leurre. Certes, les écoles ont ouverts sans trop d’accrocs comme par le passé où la rentrée scolaire était un moment de chantage des enseignants sur leur traitement salariale, mais aujourd’hui ce chantage prend d’autres formes et concernent même des responsables d’écoles.

Pas plus tard que ce week-end, par exemple, le syndicat des enseignants du réseau catholique (Synecat) a enjoint à tous ses affiliés de se présenter à l’école, certes, mais de ne pas accéder aux salles de classe tant qu’ils n’auront pas reçu les documents pédagogiques exigés par la loi pour procéder aux enseignements (journal de classe, cahier de préparation des cours, fiches de préparation, fiches des côtes, etc). Ces documents leur étaient fournis durant les plus de 23 dernières années scolaires grâce aux frais payés par les parents.

Or, à ce jour, les informations disponibles indiquent que seuls les frais de fonctionnement des écoles ont été réajustés de 39.000 Fc à 50.000 Fc. Un montant jugé largement insuffisant par les promoteurs d’écoles conventionnés et les directeurs des écoles officielles qui se demandent sur quelle base ce montant a été fixé lorsqu’on sait que toutes ces écoles n’ont pas la même taille et, donc, les mêmes besoins.

En attendant, dans certaines écoles où les frais des parents avaient déjà été perçus avant que le Gouvernement n’ordonne leur restitution. Cependant, si certaines écoles se sont exécutées, à la grande joie des parents, d’autres se disent dans l’impossibilité de s’exécuter puisqu’ils ont déjà utilisé cet argent. C’est le cas de certaines écoles dans la Tshangu et la Lukunga à Kinshasa dont les responsables affirment avoir déjà effectué soit des réparations des meubles, dont des bancs, le rafraichissement des murs, le nettoyage des toilettes ou encore l’achat des documents pédagogiques et autres matériels nécessaires à l’enseignement.

Ailleurs, des parents se disent circonspects d’apprendre de leurs enfants du primaire jusqu’en 8ème (2ème secondaire) que les directeurs d’écoles leur recommandent « vivement » de continuer à payer les frais comme par le passé pour éviter une année blanche, car ils ne sont pas surs que l’Etat va prendre en charge effectivement le financement de l’enseignement à ce niveau. Concomitamment, les mêmes écoles et bien d’autres se montrent plus qu’intrépides pour ce qui est des frais des classes supérieures non concernées par la gratuité. Aucune dérogation ni échelonnement n’est acceptée pour leur paiement. Conséquence : bien d’élèves garde encore la maison.

 

La gratuité devait être planifiée et non décrétée pour des besoins politiciens

Dans la grande majorité des cas, cependant, l’engouement de la rentrée observée sur la voie publique contraste nettement avec ma réalité dans les écoles où, en général, les enfants sont effectivement reçus, mais les enseignements tardent à commencer. Responsables d’écoles et enseignants attendent encore de savoir comment va se comporter le Gouvernement par rapport à ses engagements. Tout est systématiquement renvoyé en octobre ou à fin septembre pour cela.

Pour le reste, les observateurs sont d’avis que si le principe de la gratuité de l’enseignement de base est à applaudir, son effectivité ne devrait pas se décréter pour faire l’objet d’un commerce politique après le commerce des promoteurs scolaires. Pour eux, en effet, elle devait passer par une étude posée qui aurait pu aboutir à une planification. Certains auraient estimé, par exemple, que les frais jusque-là payés par les parents soient supprimés progressivement selon leurs catégories pour donner au Gouvernement le temps de prospecter et réunir les moyens nécessaires après leur estimation globale sur au moins cinq ans. La table-ronde de fin août dernier avait préconisé, entre autres, l’instauration d’une « taxe de solidarité » pour financer l’enseignement de base, mais on se demande comment elle sera accueillie par les assujettis qui se plaignent déjà de la multiplicité des taxes qui leurs sont imposées à tous les niveaux et pour tous les domaines, sans que certaines ne produisent les effets escomptés, telles que la taxe de promotion culturelle ou celle de promotion du tourisme.

En attendant, la rentrée scolaire tangue et personne – du moins parmi les observateurs lucides – ne pronostique sur la poursuite de cette année scolaire jusqu’à la fin.

JEK

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