Dans cette deuxième et dernière partie du dossier sur l’insécurité à l’Est, congovirtuel.org revient sur le phénomène du djihadisme et relève le déséquilibre entre les efforts occidentaux pour la lutte dans certains pays africains, dont des voisins de la RDC, et l’indifférence sur ce pays qui est pourtant plus affecté au point de se trouver déstabilisé.
LA PRESENCE DES JIHADISTES A L’EST DE LA RDC EST REELLE
Il a fallu que le groupe Etat islamique (EI) revendique, pour la première fois, une attaque en avril 2019 pour que la communauté internationale aiguise son attention à ce sujet. Jeudi 18 avril 2019, en effet, alors que Félix Tshisekedi, fraichement investi Président de la République venait d’arriver à Washington, l’Amaq, agence de propagande du groupe Etat islamique, revendiquait pour la première fois une attaque près de Kamango, dans la région de Béni, à la frontière avec l’Ouganda. Cette attaque avait officiellement fait trois morts dont deux militaires et un civil.
Même si, à l’époque, les FARDC avait émis des réserves sur l’identité de ce groupe, expliquant qu’il pouvait s’agir d’un groupe affaibli par la puissance de feu des forces régulières pour reprendre un ascendant psychologique, des évidences sont légion pour attester de la présence des mouvements djihadistes en territoire congolais, une présence qui remonterait jusqu’à 2004.
En effet, dans ses nombreuses publications sur la question, le journaliste congolais d’investigation Nicaise Kibel’Bel Oka, établi à l’Est depuis plus de 20 ans, identifie le groupe armé ougandais ADF comme l’élément pivot de cette présence islamique à laquelle il sert de cheval de Troie.
Dans un récent entretien avec notre magazine Congo Panorama, Nicaise Kibel’bel confiait ceci, entre autres : « les islamistes habitent officiellement la région de Beni. Officiellement, car étant de différentes nationalités. Ils entrent par Uvira et Fizi en provenance de la Tanzanie jusqu’à Butembo sans être repérés. C’est au niveau de Beni qu’ils sont appelés ADF ».
Les preuves de Nicaise Kibel’Bel
Jugeant de l’indifférence de la communauté internationale qui n’a sursauté qu’après la première revendication islamiste, Niceaise Kibel’Bel n’en a cure : « Pour notre part et avec la connaissance du terrain, cela ne nous a pas vraiment surpris », déclare-t-il, parlant même d’un « fait divers » avant de poursuivre : « Les gens voulaient les entendre revendiquer, ils l’ont fait. Nous, nous savons que le terrorisme religieux et/ou islamiste ne procède pas par des conférences de presse, soient-elles hebdomadaires. Le terrorisme se juge par des actes, par la terreur ». C’est ce qui se vit sur terrain.
Et le journaliste relate la triste épopée de l’arrivée et l’installation des djihadistes en RDC. « Au départ, ce sont des rebelles ougandais délogés après avoir commis des forfaits, notamment dans l’attaque de la grande mosquée de Old Kampala. Quand ils s’installent dans le Ruwenzori en RDC, ils bénéficient de l’hospitalité de la population et ils vont cohabiter avec la population locale.
Petit à petit, ils développent des activités commerciales et idéologiques. Ils évoluent ensuite dans leur incrustation par la conversion tacite à l’islam et/ou par la conversion forcée, le jihad. Ils kidnappent des jeunes gens, surtout à bas âge. Ils les forment aux rudiments du coran et au maniement des armes. Ils vont avoir pour formateurs des Somaliens, des Soudanais et autres. Avec cette diversité, l’islamisme va s’étendre et devenir plus violent encore ».
Plus loin, il révèle encore : « Ce sont des islamistes radicaux qui prêchent le jihad armé et qui tiennent à instaurer un Etat islamique. Ils sont de souche d’origine indo-pakistanaise installée dans les années 1940 en Tanzanie, les Tabliq. Ils se meuvent sur toute la région des Grands Lacs. Ils ont établi leur QG à Madina dans le Ruwenzori, dans le parc national des Virunga et quadrillent tout le territoire de Beni sur trois axes, à savoir Watalinga/Kamango- Bashu/Mughalika/Karuruma – Eringeti ».
Certes, les FARDC ont récemment démantelé la base arrière des islamistes à Madina dans le Ruwenzori. Mais il reste que les résidus se sont éparpillés dans la région et des sources crédibles n’excluent pas que ce soient ces résidus qui sont arrivés en Ituri et dont les exactions se distinguent par leur atrocité particulières, notamment la décapitation de leurs victimes pour semer la terreur.
Les occidentaux se déploient contre les islamistes en Ouganda, au Kenya, en Somalie, etc. La RDC attendra, mais jusqu’à quand ?
Il est donc clair que malgré la volonté indiscutable des autorités congolaises et le dévouement des vaillants combattants des FARDC, la RDC a absolument besoin d’appuis des forces rompus dans les opérations de type asymétrique. Mais, comme dit plus haut, depuis plus de dix ans, le pays de Lumumba assiste impuissant à l’indifférence de la communauté occidentale qui, par contre, se montre particulièrement attentive à la situation djihadiste dans d’autres pays d’Afrique dont des voisins mêmes de la RDC.
C’est le cas, par exemple, des Etats-Unis d’Amérique qui ont renforcé (en équipements et en formation) et patronnent les forces ougandaises de l’Amisom afin de lutter contre les attaques du groupe terroriste Al-Shabaab en Somalie. A Mogadiscio, capitale de la Somalie, le Pentagone a installé le PAE (Pacific Architects and Engineers) comme tête de pont américaine et l’un des principaux auxiliaires américains dans la guerre contre Al-Shabaab.
Toujours en somalie et au Djibuti où ils disposent de bases, les USA ont renforcé notamment leurs systèmes de communication pour une meilleure collecte d’informations stratégiques.
De même, au Kenya, le Pentagone forme les forces spéciales kenyanes contre Al-Shabaab et les équipe avec du matériel militaire adapté. Toujours au Kenya, la Kenya Air Force a été équipée de petits avions Cessna Caravan pour renforcer son offensive aérienne contre Al-Shabaab.
Autant donc d’engagements et bien d’autres des grandes puissances qui démontrent cette sollicitude dont ne semble pas jouir la RDC pourtant particulièrement affectée par l’instabilité sécuritaire multiforme. La RDC devra donc attendre encore, mais pour combien de temps ?
Jonas Eugène Kota