Cette convention avait été signée à Kinshasa le 23 mars 2018 entre, le Gouvernement central et la Dubaï Port World (DP World), une firme des Emirats Arabes Unis, représentée par Ahmed Bin Sulayem, son Chairman. Un partenariat public-privé dans lequel l’Etat congolais a 30% de participation non diluable dans le capital social. L’Etat congolais doit, à terme, présider le Conseil d’administration et assumer les fonctions de Directeur général adjoint dans ce projet qui est une mise en concession de 30 ans avec possibilité de renouvellement de 20 ans après évaluation concluante.
Au cours de sa conférence de presse à Bunia lundi dernier, le Président de la République, Félix Tshisekedi, a assuré que le projet du pont route-rail Kinshasa-Brazzaville n’ira pas loin avant la concrétisation de celui du port en eaux profondes de Banana. Le chef de l’Etat rassurait ainsi et apaisait les esprits sur l’actualité au sujet du pont entre Kinshasa et Brazzaville dont l’annonce du lancement des travaux en août 2020 a fait lever les boucliers en RDC.
Toutes les études démontrent, en effet, que ce projet de pont, en l’état actuel de l’économie congolaise, sera largement défavorable à la RDC dont au moins 60% des recettes douanières (qui représentent près de 50% du budget) proviennent des ports de Matadi et Banana. Le projet du pont viendrait ainsi détourner toutes les activités d’import-export vers le port de Pointe Noire, entrainant ainsi les recettes douanières et bien d’autres liées aux activités économiques connexes aux ports cités ci-dessus.
Pour les Congolais donc, la construction d’un port en eaux profondes à Banana devra équilibrer les choses tout en assurance l’intégration régionale qui est, d’ailleurs, le seul argument avancé par la BAD pour financer ce pont, sans tenir compte de la nécessité de l’existence préalable des économies viables dans les pays de cette région.
En fait, le Président Tshisekedi, pour autant qu’il a pu apaiser les esprits, a, en quelques sortes, enfoncé une porte ouverte, car à ce jour, il existe déjà une convention pour la construction d’un port à Banana. Cette convention avait été signée à Kinshasa le 23 mars 2018 entre, d’une part, le Gouvernement central, représenté par un panel de ses membres, à savoir le vice-Premier ministre chargé des Transports et Voies des communications ainsi que les ministres du Portefeuille, du Budget et des Finances ; et, d’autre part, la Dubaï Port World (DP World), une firme des Emirats Arabes Unis connue comme le troisième exploitant portuaire mondial et pour son approche logistique globale dans ce secteur logistique de construction des ports. DP World était représentée, dans la signature de ladite convention, par Ahmed Bin Sulayem, son Chairman. Celui-ci avait justifié l’engagement de sa firme l’importance du futur port de Banana et son positionnement économiquement stratégique, non seulement pour la RDC, mais aussi pour toute l’Afrique de l’Ouest. «Le Congo deviendra un acteur majeur dans le commerce en Afrique de l’Ouest et un centre maritime important pour l’Afrique de l’Ouest. Nous sommes fiers de cette opportunité et nous pouvons nous assurer que nous sommes prêts à faire de ce projet un succès pour la République démocratique du Congo», avait alors déclaré Ahmed Bin Sulayem.
Une convention approuvée en Conseil des ministres
La veille de la signature de cette convention, José Makila, alors VPM en charge des Transports et voies de communication, avait solennellement présenté ce projet au cours d’une communication à la presse. Il avait expliqué que cette convention avait préalablement été approuvée par le Gouvernement lors du Conseil des ministres présidé le 20 mars 2018 par le Président Joseph Kabila en personne. Et le décret fixant les sites industriels du domaine franc de Moanda-Banana avait été pris à l’issue de ce conseil.
Selon les termes de la convention et les détails techniques du projet, le futur port en eaux profondes aura une longueur de 1.600 mètres avec 5 quais pour un tirant d’eau de 15,5 m de profondeur. Sa construction, qui relève de la souveraineté de l’Etat, devrait s’effectuer en quatre phases durant 36 mois à dater du lancement des travaux. Au moment de la signature de la convention, des études de diverses natures avaient déjà été effectuées pour faciliter la concrétisation du projet.
Coût global des travaux, plus de 1 milliard Usd. La DP World avait accepté d’injecter un premier montant de 350 millions Usd sur les premiers 24 mois, le reste de l’enveloppe dépendant des besoins du projet.
Dans le partenariat public-privé qui lie la RDC à Dubaï Port World, l’Etat congolais aura 30% de participation qui ne sera pas diluée dans le capital social. Quant à la gestion du port, l’Etat congolais présidera le Conseil d’administration et assumera les fonctions de Directeur général adjoint.
Côté économique et social, José Makila avait garanti que ce projet aura un impact indéniable. «L’augmentation des flux des navires, essentiellement ceux de gros tonnage, la promotion du transport des marchandises par containers, la création d’emplois directs (environ 5.000), notamment par la construction de la zone industrielle et logistique autour du port ; l’amélioration de la compétitivité de l’économie par la réduction des couts de transports dans ses ports maritimes», autant donc de retombées attendues de ce projet qui est une mise en concession de 30 ans avec possibilité de renouvellement de 20 ans après évaluation concluante.
Régularité de la convention et solidité du projet
Quant aux critiques soulevées à l’époque sur la nature du marché passé de gré à gré, le patron des Transcom les avait rejetées en faisant savoir que la loi ad hoc n’avait nullement été violée. « S’agissant des marchés spéciaux et stratégiques, le législateur a, en 2014, dérogé aux règles antérieurement prévues en matière des marchés publics, conformément à ses articles 44 à 46, en prenant la loi n°14/005 du 11 février 2014 ». Cette disposition concerne les investissements/marchés « dont la valeur est supérieure à l’équivalent ou plus à l’équivalent en franc congolais de un milliard de dollars américains ». Et le projet DP World va bien au-delà de ce seuil.
Pour rappel, le projet d’un port en eaux profondes de Banana hante les esprits depuis l’époque coloniale à partir de 1863. Les premières études concrètes remontent à 1972, mais ne sont jamais allées plus loin que les tiroirs des administrations. En juin 2012, le Premier Ministre de l’époque avait instruit le ministre des Transports d’alors de relancer les études sur le port en eaux profondes et de constituer une commission pour mettre à jour les termes de référence. Cette commission était constituée de l’OEBK comme maître d’ouvrage, de la SCTP, du GET, de la SNEL et du BEAU. Les éléments collectés avaient été transmis au Gouvernement. Cette étude recommandait, notamment, le recrutement d’un bureau international expérimenté qui devait avoir pour mission d’actualiser les études sur le port en eaux profondes. Trois grands groupes de renommée mondiale avaient alors frappé à la porte, à savoir : le Gouvernement sud-coréen à travers son agence de développement qui avait mené des études sur place avant qu’une équipe de l’OEBK ne se rende en Corée du Sud pour poursuivre les discussions. Le résultat de ces échanges avait également été soumis à l’examen du Gouvernement congolais. Il y avait ensuite la firme Dubaï Port International (DPI) et le Groupe Bolloré.
Toutes ces initiatives n’avaient pas abouti, jusqu’à ce que les discussions avec la DP World débutent pour déboucher sur cette convention censée matérialiser ce vieux rêve de plus de 150 années.
Jonas Eugène KOTA