« Usant de ses prérogatives constitutionnelles, le Chef de l’État a introduit, depuis le vendredi 17 avril dernier à l’Assemblée Nationale et au Sénat, une demande de prorogation de l’état d’urgence. Par conséquent, les deux chambres du parlement devraient se réunir, de manière séparée, avant l’expiration pour statuer uniquement sur cette question ». C’est en ces termes que s’exprime le dispositif de communication du chef de l’État dans une publication postée sur la page Facebook de la Présidence de la République. « De manière séparée » et « uniquement sur cette question », des termes qui ont ramené l’attention sur les rapports plutôt entre le Président de la République et les deux chambres du Parlement depuis les deux épisodes encore vivants dans l’opinion. Des rapports que l’on croyait pourtant aplanis après la dernière réunion de N’sele, du moins si l’on s’en tient à la même communication de la Présidence qui fait savoir qu’«au cours de la dernière audience accordée aux présidents de 2 chambres à N’sele (sic), le Chef de l’État s’était félicité de la convergence des vues sur cette question de haute portée juridique».
Pour autant, les observateurs constatent comme une posture de belligérance qui continue d’animer les lieutenants du Garant de la Nation au point que l’on a l’impression qu’ils agiraient sous ses directives personnelles. Un sentiment qui se consolide lorsque les mêmes observateurs relèvent ce qu’ils ressentent comme des injonctions d’une institution (Président de la République) sur une autre (Parlement) à travers ses deux chambres.
Félix Tshisekedi en contre-offensive contre le Parlement !
Difficile, en effet, de passer sur ces sentiments lorsqu’on peut lire dans la même communication sous examen ceci : « Il ne s’agit pas d’un congrès tel que l’avaient préconisé il y a quelques jours les présidents des 2 chambres mais plutôt de l’application stricte de l’ordonnance du 24 mars portant proclamation de l’Etat d’urgence sanitaire pour faire face au Covid 19 , du reste jugé conforme à la constitution par la Cour Constitutionnelle ». Ou cette observation sibylline : « Aux termes de cette ordonnance, » les mesures prises en application de la présente ordonnance cessent d’avoir effet après l’expiration du délai prévu au premier alinéa, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la république sur décision du Conseil des ministres , n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de 15 jours « . Et encore ce rappel : « Conformément à la loi, le Congrès ne se tient que dans les conditions prévues dans l’article 119 de la constitution ». Sans oublier cette sorte de rappel à l’ordre qui laisse entendre que même pour lui accorder l’autorisation de prolonger l’état d’urgence, le Parlement est soumis à la largesse du Chef de l’État qui le tient par la jugulaire pour pouvoir ce réunir en raison de la limitation du nombre de personnes en rassemblement (pas plus de vingt) au nom de la distanciation sociale coulée dans la loi dont la période de vigueur attend l’autorisation pour son prolongement.
La Présidence pose, en effet, une question : « Comment les deux chambres pourraient-elles se réunir alors que sont interdits tous rassemblements, réunions et célébrations de plus de 20 personnes sur les voies et lieux publics ? » Et d’avancer tout de suite une solution, toujours fruit de la largesse du Chef de l’État qui « devrait faire sauter ce verrou en prenant une autre ordonnance portant modification des mesures relatives à l’exercice de la liberté pendant la période d’urgence. » Une suggestion qui en dit bien au-delà pour laisser entendre que même pour faire son travail, le Parlement reçoit du Chef de l’État les clés de la liberté.
Le soir même de lundi, le Chef de l’Etat a effectivement modifié l’ordonnance instituant l’état d’urgence pour laisser au Parlement la possibilité de se réunir à plus de 20 personnes : « Par dérogation, l’Assemblée nationale et sénat peuvent se réunir à plus de 20 personnes dans les conditions de quorum prévues par la constitution et leurs règlements intérieurs respectifs pour statuer uniquement sur la demande d’autorisation de prorogation de l’état d’urgence proclamé du 24 mars 2020 ».
Pour autant qu’elle était légitimement attendue, cette modification semble être allée plus loin jusqu’à dicter au Parlement un ordre du jour de ses travaux (statuer sur la prolongation de l’état d’urgence). Et l’on craindrait de comprendre qu’à son tour, le Parlement devra désormais requérir du chef de l’Etat l’autorisation de se réunir à plus de 20 personnes pour des plénières sur des matières liées notamment à l’encadrement de la riposte contre le coronavirus.
En conclusion, n’assisterait-on pas, là, à un confinement du Parlement par le chef de l’Etat ? Celui-ci semble, en effet, avoir pris la haute main sur ce Parlement qui se réunirait désormais sous sa surveillance pour des matières qui devraient aussi être soumises à son appréciation préalable. Une disposition dérogatoire et permanente à insérer dans l’ordonnance sur l’état d’urgence aurait certainement pu dissiper ces fâcheux malentendus et permis de faire l’économie des autorisations croisées à répétition.
Tendance à la hiérarchisation des pouvoirs ?
Dangereuse tendance à la hiérarchisation des pouvoirs donc que cette démarche qui ne laisse pas indifférents des esprits qui craignent là un clash permanent. Sombre perspective, peut-on aussi craindre, pour l’Etat de droit basé sur la séparation des pouvoirs.
La Présidence semble, à ce point, avoir (ré) pris l’initiative de la polémique que l’on se demande jusqu’où elle n’irait pas loin. Dès le sortir déjà de la rencontre de et N’sele que l’on avait présentée comme fructueuse aux dépens de cette confrontation, et alors que le compte-rendu de la Présidente de l’Assemblée nationale avait unanimement été jugée comme concilient dans le sens de la désescalade, c’est le jusque-là taiseux porte-parole du Chef de l’État qui tiendra encore le siège et la contre-offensive. Contre le Président du Sénat traité sans ménagement d’indélicat en plein journal de 20 heures sur la télévision nationale, le PP lui exigera des excuses pour son outrage. Venant d’un porte-parole, le message tendait fort à faire croire que le Président de la République avait la rancune tendance malgré ses auto-félicitations.
Dans une autre communication lundi soir, en effet, la Présidence de la République a fait savoir que le Chef de l’État venait d’entretenir ses hôtes à N’sele, les chefs des confessions religieuses, du fonctionnement des institutions de la République entre autres. Dans son compte-rendu après cette rencontre, Mgr Ambongo s’est refusé d’évoquer le sujet, promettant d’y réserver, lui et ses pairs, une suite dans les jours à venir.
Bref, il demeure encore de l’eau dans le gaz que N’sele n’a manifestement pas expurgé…
Jonas Eugène Kota