Comme annoncé hier mardi, Congovirtuel.org publie ci-dessous la première partie de son entretien avec le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka sur la situation d’insécurité qui sévit à l’Est de la RDC. Notre confrère, qui vit dans le Kivu depuis plus de vingt ans et qui est auteurs de deux importants ouvrages sur ce sujet, identifie et décrit les agents (auteurs) de cette insécurité. Celle-ci comporte plusieurs facettes dont la principale est le business. Il aborde également le rôle des multinationales dans cette insécurité autour de l’exploitation des minerais de la technologie de pointe. Ces multinationales, indique-t-il, jouent un rôle direct et indirect.
Comment décririez-vous la situation sécuritaire qui prévaut actuellement à l’Est du pays ?
Nicaise Kibel’bel Oka : La situation sécuritaire est catastrophique. On compte pas moins d’une centaine de milices armées ethniques ou communautaires, des groupes armés étrangers et un groupe terroriste, la nébuleuse ADF.
Qui sont les acteurs de cette insécurité ? On parle de groupes armés locales et étrangers, de groupes de jeunes motards (surtout en milieux urbains comme à Goma) et même des islamistes, etc.
NKO. : L’insécurité est avant tout une affaire de communautés ethniques avant de prendre la forme d’un business où les milices armées exploitent les minerais. Chaque communauté possède un ou plusieurs groupes armés pour « sa survie » face aux voisins. Les groupes armés locaux et étrangers vivent en cohabitation ; une cohabitation en dents de scie car ils peuvent se faire la guerre tout en cohabitant. Il existe une catégorie de motards (pas tous) financés par des groupes armés. Ceux-là créent aussi de l’insécurité. Enfin, les islamistes communément appelés ADF sont dans la région. Ils habitent officiellement la région de Beni. Officiellement, car étant de différentes nationalités. Ils entrent par Uvira et Fizi en provenance de la Tanzanie jusqu’à Butembo sans être repérés. C’est au niveau de Beni qu’ils sont appelés ADF.
Quel est le rôle de ces différents groupes et que revendiquent-ils exactement ?
NKO. : D’emblée, ils jouent un rôle néfaste puisqu’ils sont des agents de l’insécurité et sèment la mort et la désolation au sein de la population. Ils n’ont pas de revendication claire. Ils disent protéger leurs communautés et/ou prendre en charge la sécurité de leurs communautés là où l’État a failli.
On parle également des actes répétés de règlements de compte, surtout entre commerçants/hommes d’affaires. Qu’est-ce qu’il en est et quelle proportion cela occuperait-il dans la situation générale d’insécurité ?
NKO. : Dans un monde du business du sang et de la mafia, il y a trop de règlements de compte dû aux engagements non respectés. Si ces engagements ont été pris avec les groupes armés, il est difficile de mesurer le degré de réaction punitive. On assiste toutefois à des incendies de véhicules, à des kidnappings… Il faut des enquêtes pour élucider tout ce mystère.
Les multinationales occidentales et asiatiques seraient-elles également impliquées dans cette situation d’insécurité?
NKO. : Elles le sont directement ou indirectement à travers la traçabilité des produits pillés qui profitent à la haute technologie. Prenons le cas du coltan (colombo tantalite). Ce minerai participe dans la fabrication des téléphones portables (électronique), mais posons-nous la question sur la contribution du coltan au budget de l’État congolais. Le niobium ou pyrochlore qu’on trouve à Lweshe (Nord-Kivu) intervient dans les alliages spatiaux, mieux dans la fabrication des fusées et des appareils qui résistent à la haute température, mais personne n’en parle. C’est dans ces régions-là d’insécurité qu’on en trouve. Actuellement, on observe une guerre de basse intensité que se livrent les États-Unis et la Chine sur le sol congolais. Bref, notre pays est au cœur de grands enjeux internationaux et il est difficile de nous laisser en paix. Nous sommes un pays hanté par cette volonté des grandes puissances de (nous) balkaniser.
Si l’on établit un lien entre l’insécurité à l’Est et la poursuite de l’exploitation illicite de nos ressources, doit-on conclure que tout le battage fait sur la lutte contre les minerais du sang a été nul?
NKO. : Effectivement. Qui fait ce battage ? Une poignée de Congolais financés par des ONG des pays qui profitent desdits minerais. Nous sommes dans un cercle vicieux. Les grands médias sont soutenus par les mêmes multinationales qui leur dictent ce qu’ils doivent dire sur le Congo, ses dirigeants et son peuple. Sommes-nous sérieux lorsqu’on sait que c’est à l’Est qu’on trouve le nombre élevé d’ONG et que c’est aussi là que l’insécurité va croissante ? Nos voisins ne fabriquent pas des armes de guerre, mais d’où nous viennent lesdites armes ? A-t-on déjà puni les fabricants et les vendeurs d’armes ? No war, no business.
(A suivre)
Propos recueillis par Jonas Eugène Kota