Ayant décidé sur pied de l’arrêt de 2007 qui élaguait du règlement intérieur du Congrès certaines de ses dispositions (3.3 et 36) obligeant le recours à une autorisation du Congrès (article 119.2) pour la proclamation d’un état d’urgence, la Cour constitutionnelle n’a rien réglé puisqu’il existe un autre arrêt de 2019 réhabilitant les mêmes dispositions déclarées inconstitutionnelles en 2007. Pendant ce temps, la Constitution comporte toujours l’article 119.2 malgré la révision intervenue en 2011.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant conforme à la Constitution l’ordonnance du Chef de l’État proclamant l’état d’urgence continue d’alimenter les débats dans les milieux aussi bien politiques que scientifiques. Si ces débats n’attaquent pas ledit arrêt qui se passe de toute discussion, l’intérêt se porte plutôt sur le soubassement juridique qui a conduit les hauts magistrats à le prendre. Il faut noter qu’il serait hasardeux, à ce stade, de chercher à analyser le contenu même de cet arrêt en ce qu’à ce jour, le grand public ignore, d’une part, l’argumentaire qui était à l’étai de la requête du Président de la République et d’autre part, les motivations de la décision de la haute Cour n’ont pas, non plus été divulguées. En tout cas, le rendu officiel de l’arrêt dont la vidéo circule dans les réseaux sociaux ne mentionne ni l’un ni l’autre.
Le passage, dimanche dernier, du Processeur Banyaku Luape, ancien juge à la Cour constitutionnelle, a permis de révéler un certain nombre de contradictions qui jettent la circonspection sur le soubassement de la décision déclarant l’ordonnance de l’état d’urgence conforme à la Constitution. La discussion, on s’en souvient, était de savoir si le seul recours à l’article 85 de la Constitution (simple concertation avec les deux Présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale) suffisait au Chef de l’État pour prendre cette ordonnance ou s’il ne lui fallait pas une autorisation préalable du Congrès conformément à l’article 119.2 de la même Constitution.
Deux arrêts de la Haute cour contradictoires sur une même matière constitutionnelle
Tout ce que l’on sait à ce jour, c’est que la Cour constitutionnelle a invoqué l’article 85 pour juger de la conformité de cette ordonnance à la Constitution. La Cour invoquait également l’arrêt de septembre 2007 sur la conformité du règlement intérieur du Congrès, arrêt qui expurgeait de ce règlement, au motif de leur inconstitutionnalité, un certain nombre de dispositions dont celle relative à l’autorisation préalable du même Congrès pour la proclamation d’un état d’urgence, en l’occurrence les articles 3.3 et 36 qui subordonnaient la proclamation de l’état d’urgence à une autorisation du Congrès.
A ce niveau, il faut noter que ce faisant, cet arrêt de la haute Cour – à l’époque la Cour suprême de justice – posait un problème de maintient ou pas de l’article 119.2 dans la Constitution. Ceci d’autant plus que, d’abord un arrêt de la Cour n’a pas force d’une révision constitutionnelle, et, ensuite, que la révision constitutionnelle intervenue en 2011 n’avait pas élagué ladite disposition.
Plus encore, en décembre 2019, la même Cour constitutionnelle qui avait examiné le nouveau règlement intérieur du Congrès, l’avait déclaré conforme à la Constitution alors qu’il contenait toutes les dispositions qu’elle (la Cour constitutionnelle) avait élaguées en 2007. Bref, on se retrouve avec (1) une Constitution contenant une disposition réfutée dans l’arrêt de 2007 et (2) deux arrêts de la même Cour contradictoires sur une même matière constitutionnelle à savoir l’autorisation ou pas du Congrès pour la proclamation d’un état d’urgence.
Un cas de figure sans précédent de la part de cette même Cour qui a déjà défrayé la chronique lorsqu’elle en était arrivée à prendre une série d’autres arrêts contradictoires aux précédentes sur les résultats des élections, sous prétexte d’erreurs matérielles. Plusieurs questions se posent dans cette situation : comment est-ce qu’une constitution peut continuer à contenir une disposition jugée anticonstitutionnelle ? Comment la haute Cour peut-elle disposer de deux arrêts contradictoires sur une même disposition constitutionnelle ?
En attendant de répondre à ces questions, on peut déjà se demander sur quelle base légale les hauts magistrats ont été amenés à exploiter un arrêt (celui de 2007) antérieur à un autre (celui de 2019) alors que la règle juridique veut que les nouvelles dispositions juridiques abrogent les précédentes qui leur sont contraires. À ce stade, et comme l’a estimé le Prof Banyaku qui était visiblement mal à l’aise face à cette situation, l’on est fort tenté de croire qu’avec l’ordonnance sur l’état d’urgence, la Haute cour a pris un arrêt plutôt politique que juridique. Pour Banyaku, en effet, la Cour constitutionnelle a fait un « revirement jurisprudentiel » sans, cependant, prendre préalablement un arrêt justificatif dans un tel cas de figure. Ce qui l’a amené à parler d’une incompétence ou d’une mesure complotiste. Penchant, en ce qui le concerne, pour le second cas de figure, il n’a, cependant, pas dit clairement qui a comploté contre qui.
Manipulation des lois à des fins politiciennes ?
On est bien tenté de se remettre à une telle conclusion lorsqu’on constate que pour décréter un état d’urgence privative des droits et libertés des citoyens, le Chef de l’État ne se contente que d’une concertation avec trois personnalités, Chefs de corps soient-ils, alors que pour le prolonger, il soit obligé d’en requérir l’autorisation au Parlement après avoir entendu le Conseil des ministres (article 144 de la Constitution).
Le débat demeure donc ouvert et appelle à un ajustement nécessaire pour mettre fin a ce fâcheux précédent. A ce stade, en effet, il est difficile de croire qu’au Congrès comme à la Cour constitutionnelle, on ait perdu de vue ces détails majeurs du fait qu’ici comme là il s’agissait d’assemblées et de compositions presqu’entièrement nouvelles par rapport à celles de 2007. Ici comme là, en effet, il existe des administrations et des archives auxquelles les uns et les autres pouvaient bien recourir.
Une carence qui laisse tout de même pantois pour une matière aussi importante touchant à la vie et, donc, à l’humanité. On est tristement tenté de croire que les querelles interinstitutionnelles l’ont emporté sur les obligations d’État pour en venir à la manipulation des lois pour des fins politiciennes.
Jonas Eugène Kota