COUVRE-FEU CONTRE LE COVID-19 : CAFOUILLAGE PLEIN TUBE !

A quelque 24 heures de l’entrée en vigueur du couvre-feu censé contribuer à freiner la propagation du Covid-19, un cafouillage prend corps à travers la ville. Pris manifestement à pied levée – cette mesure prise par le chef de l’Etat ne figurait pas sur la gamme des propositions du comité multisectoriel de riposte placé sous l’autorité du Premier ministre – les autorités à divers niveaux sont presque submergées aussi bien par les inquiétudes de la population que par les sollicitations diverses sur des dérogations spéciales.

On pouvait bien lire ce malaise d’Etat ce jeudi à travers diverses interventions de ces autorités dans les médias. Le porte-parole du Gouverneur de la ville ne savait pas quels mots utiliser pour reconnaître qu’ils n’ont pas assez de temps pour organiser, par exemple, le trafic des gros véhicules qui approvisionnent la ville en produits agricoles et autres. Une mesure de l’autorité provinciale prévoit, en effet, que ces véhicules circulent à Kinshasa précisément pendant les heures prévues pour le couvre-feu. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) a justement saisi le Gouverneur de la ville d’une requête pour l‘obtention des dérogations en faveur aussi bien des transporteurs que de bien d’autres activités, comme les boulangeries, qui doivent continuer à fonctionner aux heures du couvre-feu.

Non associés dans la prise de la décision, les exécutants perdent les pédales

Pour toutes ces sollicitations, et ne sachant manifestement dans quel bénitier se débattre, Charles Mbuta Muntu a renvoyé tout le monde à un arrêté que doit prendre le Gouverneur pour fixer les mesures d’accompagnement pour la mise en œuvre du couvre-feu. Avertissant au passage que ces mesures seront assorties d’une mercuriale des sanctions contre toute infraction à la mesure.

Sur Top Congo Fm, le Directeur de cabinet du Vice-Premier ministre en charge des Travaux publics, n’a pas mis les gants pour déclarer que son ministère n’a pas été associé à la réunion de la cité de l’Union africaine qui a décidé de ce couvre-feu. Les ITPR sont également pris de court avec la grande problématique des embouteillages pour lesquels les Kinois particulièrement craignent de ne jamais pouvoir arriver à leurs logis avant 21 heures.

En moins de 72 heures avant le couvre-feu comment mobiliser l’Office des voiries et drainage (OVD), et avec quels moyens pour pouvoir, par exemple, opérer des déviations aux points chauds afin d’y fluidifier la circulation ? Que faire des sauts-de-mouton presqu’achevés et qui peuvent permettre d’y parvenir un tant soit peu ?

Autant de questions qui font déborder les ITPR de leur zone d’attributions pour aller chercher des solutions du côté de la police en évoquant un éventuel déploiement massif des policiers pour régler la situation. Pendant ce temps, le ministère des transports, qui détient au moins 220 bus pimpant neufs, se tait dans toutes les langues, et les Kinois ne voient à l’horizon que l’alternative de leur habituel marche à pied qui, du reste, ne les fera pas avancer dans cette désormais course contre la montre. C’est Eteni Longondo, Ministre de la Santé, qui viendra annoncer plus tard que ces nouveaux bus vont être lâchés dans la ville.

Entretemps, lui-même Eteni Longondo s’est surpris en train de faire le porte-parole de tout le Gouvernement, obligé qu’il était de répondre même à des préoccupations qui ne relèvent pas de la santé qui est son secteur. Il a, en effet, été assailli par des questions sur ce que l’on va attendre des policiers comme comportement. Personne ne se fait aucune illusion sur le fait que le couvre-feu est une aubaine pour ces derniers de préparer leurs fêtes de fin d’année sur ces olympiades anti-Covid.

Assailli de toutes part par des questions et des suggestions, acculé comme une bête éblouie par les phares des chasseurs nocturnes, Eteni Longondo s’est surpris en train de se faire lister des suggestions de mesures d’encadrement du couvre-feu. Simplement parce que c’est seulement depuis mardi, au sortir de la réunion convoquée par le chef de l’Etat, que lui, comme tout le monde, a été informé de cette mesure.

A bout du compte, personne n’aura convaincu personne. Pas plus qu’ils ne se sont convaincus eux-mêmes.

Bref, jusqu’à 15 heures ce jeudi 17 décembre, il s’observe une débandade allant crescendo au sein de la population. Les allées de l’hôtel de ville s’emplissent de véhicules de ceux qui cherchent déjà des dérogations. Presqu’à l’unanimité, les Kinois ne se font aucune illusion sur les dysfonctionnements qui les attendent dans l’application du couvre-feu. Le désappointement se lit aisément sur les visages où l’on peut également déceler la colère de ces citoyens plutôt jaloux de leurs libertés dont on a disposé avec autant de facilité.

Un couvre-feu pour quelle efficacité contre le Covid-19 ?

Autant alors s’interroger sur l’opportunité d’une mesure aussi grave, met qui prend de court même ceux qui sont appelés à l’appliquer. Décidé par le chef de l’Etat, le couvre-feu n’était, en effet, pas prévu sur la gamme des mesures proposés par le comité multisectoriel qui les lui avait transmis le 7 décembre dernier. Mardi 14 décembre (soit une semaine plus tard), la réunion de la cité de l’Union africaine a écarté nombre des membres impliqués dans la riposte multisectoriel : aussi bien des ministres que le Gouverneur de la ville, les autorités de la police, la FEC, les représentants du comité scientifique, etc.

De toute la communication faite jusqu’à ce jour, aucune déclinaison des termes de référence sur le couvre-feu pour faire ne fût-ce qu’une démonstration théorique de ses effets éventuels dans l’atténuation de la propagation de la maladie. De nombreuses questions demeurent sans réponse, en effet : a-t-on prévu des mesures de mitigation des effets du couvre-feu sur l’économie et les finances ? Quelles sont les mesures sécuritaires d’accompagnement ? Quelles sont les mesures d’après coup pour sauver l’année scolaire débutée déjà avec au moins un mois de retard, sans compter les semaines perdues dans la grève des enseignants ?

En quoi un couvre-feu qui intervient le soir (pendant 8 heures), peut stopper la propagation du Covid-19 rendue possible par 16 heures d’activités et de promiscuité ? Y-a-t-i ;l des activités sanitaires prévues pendant les heures de couvre-feu ? Si oui, lesquelles ? Que serait finalement la différence entre le confinement (dont personne n’a pas, non plus, fait la démonstration de l’efficacité à Gombe) et ce couvre-feu qui, pour d’aucun, n’est en fait qu’un couvre-feu intermittent ?

Une manœuvre politique, selon l’imagination des Kinois

En management des projets, le calibrage du sujet sous examen serait un sacré bide tant il ne renvoie aucun écho sur son éventuelle efficacité face à l’évidence des effets pervers qu’il aura sur l’économie et les finances avec un ricochet sur le quotidien des congolais qui, incontournablement, s’en trouvera affecté.

D’où ces soupçons des kinois fouineurs qui y voient une prolongation des confrontations politiques sur le terrain sanitaire. En effet, autant que le Premier ministre qui préside le comité multisectoriel de riposte, aucun ministre FCC n’a été invité à la réunion de la cité de l’UA alors que certains dirigent des ministères directement impliqués dans les nouvelles mesures. Certains se convainquent même que ce couvre-feu, couplé à la limitation à 10 du nombre de personnes aux manifestations, ne viserait que, d’une part, à assurer un contrôle sécuritaire de la ville pendant la nuit (allusion à la présence dite suspecte des fous dans la ville) et, d’autre part, contrarier toute possibilité de manifestation comme celles annoncées par le FCC pour soutenir la Constitution.

JEK

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