Jusqu’où Félix Tshisekedi ira-t-il ou jusqu’où n’ira-t-il pas dans ses conclusions et décisions au terme de ses consultations politiques ? Les supputations vont bon train sur ces questions depuis la fin des consultations du Palais de la nation, mais bien malin est celui qui prétendra lire dans la pensée du chef de l’Etat.
Même si ses thuriféraires indiquent, jusqu’à la limite de la paranoïa, l’issue probable qui se résume par un changement « radical » de la gouvernance. La tendance est, en effet, assez forte de se laisser aller à une telle conclusion à voir l’encadrement et tout le battage communicationnel dont les consultations ont fait l’objet autour de cela, surtout que le Président de la République lui-même y a fortement fait allusion dans son message du 23 octobre 2020.
Félix Tshisekedi avait également donné deux indications de ce que pourrait être sa décision finale. Il avait déclaré, d’abord, qu’il ne devrait plus être question que l’avenir du pays soit laissé aux mains d’une seule force politique, sous-entendant par là la majorité FCC qui détient le pouvoir exécutif. Il avait aussi annoncé la mise sur pied, au terme de ses consultations, d’une union sacrée de la nation, ce qui laissait entendre qu’il ne voulait plus de la coalition qu’il avait accusée, dans le même message, de constituer un blocage à la marche vers le bien-être du peuple.
Il faut noter déjà qu’en plus des consultations et le format qui lui a été imprimé par une équipe technique largement partisane, Félix Tshisekedi s’est engagé dans des pourparlers diplomatiques avant, pendant et après ses consultations. Sans compter les bons offices de la Cenco, même si le cabinet de Tshisekedi et son parti politique, l’Udps, en disent tout le mal qu’ils en pensent jusqu’à des propos injurieux à l’endroit des princes de l’église. Il est donc clair qu’au-delà des consultations et toutes les initiatives suggestives qui les ont accompagnées, Félix Tshisekedi n’aura pas que la farde des mémorandums compilés pour tricoter ses conclusions/décisions.
Une chose est sûre dans la démarche qui est attendue du Chef de l’État : le droit demeure le pivot de toute direction qu’il voudra prendre et/ou imprimer au pays. Même si ses inconditionnels se montrent systématiquement frileux à l’évocation de ce droit, à commencer par la loi fondamentale. La clé de la normalisation de la vie politique devra passer incontournablement par le respect du droit, déjà par le fait que Félix Tshisekedi avait lui-même évoqué l’article 69 de la constitution sur pied duquel il a mené toutes ses consultations politiques et diplomatiques, et compte prendre ses décisions. Toute décision, quelque politique qu’il puisse être, devra donc se baser sur le droit, sinon l’on assisterait du passage d’une crise vers une autre, sinon à l’aggravation de celle qui occupe les Congolais, à leur grande désolation.
Dissolution de l’Assemblée nationale : le droit montre le chemin
Lorsque, par exemple, la « tshisekedie » appelle à la dissolution de l’Assemblée nationale, Fatshi devra bien passer par le droit pour y parvenir. Il devra consulter obligatoirement les chefs de corps avec qui il a des œufs à peler : les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat ainsi que le Premier ministre. Mais pour cela, il faudra avant tout qu’il apparaisse une crise persistante entre la chambre basse et le gouvernement qui, aujourd’hui, sont unis harmonieusement sous une même majorité.
Aujourd’hui, tous les conflits dans lesquels le Chef de l’État a été entraîné par ses faucons contre les autres institutions ne lui procurent aucun bénéfice politique. Sinon, au contraire, un isolement institutionnel par son retranchement dans la portion congrue en cas d’opérationnalisation de la cohabitation classique.
Déposer le Gouvernement ? Le Président n’en a pas les moyens légaux
Autre cas de figure : déposer le gouvernement. Sur ce cas également, le Chef de l’État se verrait ramener aux dispositions constitutionnelles dont aucune ne lui donne ce pouvoir, même pas de révoquer le Premier ministre. Mais il pourrait être tenté par un coup de force politique en réclamant la tête du Premier ministre avec la faveur de l’opinion qu’il espère avoir acquis à son avantage ces dernières semaines.
Là aussi, Félix Tshisekedi prendrait le gros risque de formaliser la crise. En effet, étant aujourd’hui essentiellement politique avec des incidences sur le fonctionnement de l’État, une telle initiative ferait porter formellement au Président de la République la responsabilité de bloquer ce bon fonctionnement avec tous les risques de mettre son pouvoir en jeu face à un Parlement qu’il n’a aucune assurance de contrôler à ce stade. Au contraire, le gros risque politique est de voir cette majorité resserrer les coudes autour de son Premier ministre en sorte qu’isolé, le Chef de l’État ne puisse avoir d’autre issue républicaine que la démission.
Débauchage ? Remember corruption aux sénatoriales et affaire 15 millions
Reste une dernière issue suggérée au Président de la République : renverser la majorité parlementaire à son avantage. Exercice aussi périlleux que délicat s’il en faut, cette fin est l’une des plus difficiles et compliquées car étant la plus lourde à réaliser. La formation de la configuration politique à l’Assemblée est un exercice consacrée dans le cadre des élections à l’issue desquelles une majorité se dégage ou, à défaut, se fait identifier par un informateur nommé par le Chef de l’État.
Dans le cas d’espèce, et conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, cette majorité avait déjà été constituée et constatée sous le bureau provisoire de l’Assemblée nationale. Et la configuration politique de la chambre basse (majorité, opposition et non inscrits) se trouve aujourd’hui verrouillée pour le reste de la mandature. Le document consignant cette configuration politique avait été joint au nouveau règlement intérieur et le tout est couvert par un arrêt de conformité de la Cour constitutionnelle.
Devant une telle réalité juridique, amener le Chef de l’État à nommer un informateur pour identifier une nouvelle majorité risquerait de l’exposer à un ridicule sans précédent. Ceci pour la simple raison qu’aucune opportunité électorale ne le justifie. A moins, bien entendu, qu’il se tienne des élections anticipées, ce qui nécessite, au préalable, la dissolution de l’actuelle Assemblée.
Sauf si, bien entendu, le Chef de l’État est assuré d’un jeu de chaises musicales qui se serait joué entre-temps pour lui faire adjuger une nouvelle majorité, été il faudra bien savoir comment. On est bien là dans l’option du débauchage qui a tant fait couler d’encre et de salive avec la forte rumeur de corruption. Certains avancent même détenir des preuves à brandir le moment venu .
Ici encore, cela renvoie au droit qui sanctionne ce genre de pratiques aussi illicites qu’immorales. En effet, on se souvient que dès sa prise de pouvoir, le Chef de l’État avait attaqué son mandat avec deux affaires judiciaires similaires : les allégations de corruption lors de l’élection des sénateurs et le dossier de 15 millions Usd de rétrocession du secteur pétrolier. Félix Tshisekedi était intervenu personnellement dans le premier cas pour confier le dossier au Procureur général près la cour de cassation. Dans le second cas, il avait pris le relais de son Directeur de cabinet, Vital Kamerhe, qui avait préalablement suspendu l’enquête de l’IGF. Et ici aussi, il avait décidé de confier le dossier à la justice, jugeant qu’il s’agit d’actes délictueux relevant de la compétence des cours et tribunaux.
Même si ces deux affaires sont demeurées sans suite à ce jour, on peut bien se demander comment Félix Tshisekedi, celui-là même qui s’est engagé à faire de la lutte contre la corruption, irait jusqu’à changer la gouvernance du pays au moyen de la même pratique. Plus concrètement, doit-on s’attendre à ce que le chef de l’Etat imprime au pays une nouvelle gouvernance au moyen d’une nouvelle majorité achetée à coup de billets verts ?
A crise politique, issue politique mais conforme au droit
On ne voit donc pas part quelle formule le Chef de l’État parviendrait à renverser la majorité pour avoir le contrôle exclusif des leviers essentiels du pouvoir. Il est, dans tous les cas, appelé à opérer des ajustements strictement politiques qui, dans le marigot congolais, renvoient à des ambitions politiques qu’il serait appelé à rencontrer. L’on sait déjà qu’il ploie sous les pressions des courtisans d’ici et de la diaspora qui attendent chacun un maroquin, qu’on ne se leurre pas. Dans cette logique, on se demande bien ce qu’il ferait du personnel politique additionnel qu’il parviendrait à retourner à sa cause pour lui donner ce qu’il n’a pas pu obtenir au FCC.
Surtout que ce même FCC n’aura pas passé ces dernières semaines à observer les évènements…
Jonas Eugène Kota