En impliquant l’exécutif national dans la prestation de serment des juges constitutionnels controversés alors que la loi ne le prévoit pas, les observateurs supposent que le chef de l’État tente d’en obtenir une négociation avec le Parlement qui s’est déjà cabré. À défaut, tirer les conclusions d’une divergence entre le Gouvernement et le Parlement pour trouver le prétexte d’une dissolution tant rêvée de l’Assemblée nationale.
Contre vents et marées, le Président de la République est déterminé d’obtenir le serment des trois juges constitutionnels qu’il avait nommés dans des conditions controversées. Après l’avis défavorable qui lui a été signifié par les Présidents des deux chambres du Parlement et les propos hors contexte du Procureur général près la Cour constitutionnelle et Président a.i du Conseil supérieur de la magistrature, le Chef de l’État a engagé le Gouvernement à finaliser les préparatifs de ladite prestation de serment.
Au cours du Conseil des ministres de vendredi dernier, en effet, Félix Tshisekedi a annoncé que « les nouveaux juges qui ont été récemment nommés à la Cour Constitutionnelle prêteront, dans les jours qui viennent, leur serment conformément à l’article 10 de la Loi n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ». Le Conseil a, à cet effet, « chargé le Premier Ministre ainsi que le Ministre en charge des Relations avec le Parlement de prendre toutes les dispositions pour que le protocole d’Etat organise correctement la cérémonie de cette prestation de serment qui doit intervenir dans les prochains jours ».
Le Gouvernement légalement non concerné
Les analystes s’interrogent sur l’opportunité et la régularité de l’implication, à ce niveau, de l’exécutif national dans cet exercice. Loin de n’être qu’une simple cérémonie protocolaire, en effet, cette prestation de serment est réglée par la loi sus-évoquée qui en énumère les acteurs. Il s’agit du Président de la République, du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Conseil supérieur de la magistrature représenté par son bureau. À la limite, le Gouvernement ne pourrait être sollicité que pour fournir la logistique, mais ceci concernerait les ministres du budget et des finances, et non celui des relations avec le Parlement.
On peut alors se demander quelle disposition le Premier ministre et le Ministre en charge des relations avec le Parlement peuvent prendre lorsque deux de ces acteurs ont déjà donné leur position qui est celle de se ranger derrière les textes légaux. Au cours de l’audience qui leur avait été accordée par le Chef de l’État, en effet, Jeanine Mabunda et Thambwe Mwamba avaient exprimé leur préoccupation quant aux irrégularités dont sont entachées les ordonnances ayant nommé les juges Ubulu et Kilomba à la Cour de cassation alors que leur mandat à la Cour constitutionnelle court encore. En sorte qu’une prestation de serment sans les deux chambres du Parlement n’aurait légalement aucun sens sur pied de l’article 10 de la loi portant organisation et fonctionnement de la Haute cour. Cet article parle, en effet, d’une présentation de ces juges à la Nation devant notamment ces deux chambres appelées justement « représentation nationale ».
Et que dire du Premier ministre Sylvestre Ilunga pour qui une telle charge serait plutôt une colle ? Lui qui avait été soustrait de la connaissance du projet des nominations dans la justice. Lui qui avait aussi été zappé pour la signature de ces ordonnances au profit du VPM Gilbert Kankonde avec le clash qui s’en était suivi après le retour de Ilunga de Lubumbashi. Autant dire que le Chef de l’État soumet aussi Ilunga à un piège entre lui et son amour propre sans garantie de ce qui en résulterait.
Objectif, dissoudre l’Assemblée nationale
En impliquant l’exécutif national à travers le Premier ministre et le Ministre des relations avec le Parlement, les observateurs pensent que Félix Tshisekdi vise deux objectifs. D’abord obtenir du Gouvernement une négociation avec le Parlement, ce qui justifie l’implication de Déo Nkusu. Ensuite, et faute de la réussite d’une telle négociation, tirer les conclusions d’une divergence entre cet exécutif et le Parlement, et ainsi trouver une raison constitutionnelle pour aller à la dissolution de l’Assemblée nationale. Même si n’a crise escomptée n’aura aucun caractère « persistant ». Une fin qui est à l’ordre du jour pour Félix Tshisekdi qui l’avait déjà évoquée lors de son adresse à la communauté congolaise de Londres au début de l’année. C’est depuis lors que le courant ne passe plus entre lui et l’Assemblée nationale.
Dans tous les cas, il est clair que depuis le début de la crise autour de la Cour constitutionnelle, déjà avec la démission tout aussi controversée de son Président, le Chef de l’État, garant du bon fonctionnement des institutions, se garde de s’assumer directement. L’implication du Gouvernement, dans ce dossier, ne trouvent aucun répondant légal probant, sinon une nième manœuvre politique, pour le Président de la République, d’éluder sa propre responsabilité sans résoudre le problème. Au contraire, cette nouvelle démarche pourrait déboucher, si pas sur une généralisation de cette crise qui, cette fois-ci, impliquerait l’exécutif, du moins sur la radicalisation de celle en cours que personne, à commencer par le Chef de l’État, ne semble disposé à solutionner.
Ici encore, les observateurs stigmatisent les collaborateurs du chef de l’État, estimant que c’est à leur niveau que se situe le blocage. Pour eux, en effet, ce sont ces collaborateurs qui, après avoir induit le Chef de l’État en erreur, manquent de courage pour lui conseiller les ajustements qui s’imposent.
L’illégalité de la nomination des juges constitutionnels demeure
On rappelle que les juges Ubulu et Kilomba ont été nommés à la Cour de cassation alors que leur mandat à la Cour constitutionnelle est en cours et qu’aucune des conditions légalement requise pour y mettre fin n’a été réunie. De plus, jouissant d’un statut particulier, les juges de la Haute cour sont exempts de toute proposition du CSM pour d’éventuelles nominations ailleurs, surtout pas dans les deux ans après la fin de leurs mandats.
Du reste, contrairement a tout ce qui a été avancé dans les arguments à ce jour, aucune Assemblée générale du CSM, unique organe habilitée à faire des propositions de nomination/promotion des magistrats, ne s’est tenue entre 2018 et ce jour.
Jonas Eugène Kota