Langues d’enseignement en RDC : la Banque mondiale viole les valeurs de l’Unesco

Au cours d’une conférence de presse lundi à Kinshasa, le député national Lambert Mende Omalanga a exprimé son opposition à l’instauration du lingala comme langue d’apprentissage dans les écoles du Sankuru en remplacement de l’otetela qui est la langue locale. Il a tiré cette sonnette d’alarme après l’arrivée, la semaine dernière à Lodja, d’une équipe de fonctionnaires de l’enseignement primaire, secondaire et technique chargée de sensibiliser les enseignants à l’utilisation du lingala dans leurs enseignements.

Cette opération devrait être facilitée, a-t-il fait savoir, par l’utilisation d’un lot de plus de vingt manuels scolaires d’apprentissage en lingala qui ont été envoyés au Sankuru depuis belle lurette avec l’appui financier de la Banque mondiale.

Tout en reconnaissant que l’objectif de l’instauration des langues nationales dans l’enseignement « est louable au regard de l’importance de la langue maternelle dans la transmission des connaissances et la formation des capacités cognitives des apprenants », l’élu direct du Sankuru considère cette façon de faire comme « une agression culturelle » qui « menace la survie socioculturelle des populations de cette partie de la RDC ». Il rappelle également qu’au Sankuru, de nombreux ouvrages en langue otetela ont été édités depuis plusieurs décennies. Et de citer, entre autres le dictionnaire Otetela-Français, les manuels scolaires comme le « Tshasa », le « Tako dia tondo » (pour la 1ère année primaire) ou le  » Tako dia hende  » (pour la 2ème année primaire) ainsi que les bibles en Otetela pour l’enseignement confessionnel aussi bien catholique que protestant.

Mende relève aussi que « des scientifiques ont, en outre, traduit des textes philosophiques en Otetela à l’instar de ce répertoire écrit de onze mille proverbes alors que certaines langues dites  »nationales » n’en disposent même pas de deux mille. Les professeurs Nkombe et Okito ont rédigé des précis de leçons de mathématique moderne en Otetela. Le professeur Michel Wetshemongo et des groupes de compatriotes de la diaspora poursuivent le même élan à partir de France, d’Allemagne et du Canada notamment ».

Les Congolais unis sous une menace culturelle commune

Cette sonnette d’alarme de Lambert Mende concerne d’autres contrées du pays où des voix s’élèvent aussi pour approuver sa position et exprimer la même protestation. Ceci pour la simple raison que les communautés locales d’un pays aussi multiculturelles que la RDC n’ont manifestement pas été associées à cette initiative pour le moins capitale pour leur survie culturelle. Et Mende rappelle plusieurs autres opportunités datant déjà des années ’70 où les atetela s’étaient insurgés contre le même genre d’initiatives de désaculturation des populations locales à partir de la langue qui est l’élément central d’une identité culturelle et même ontologique.

D’où vient le projet des manuels scolaires en langues nationales et qui auraient décidé d’imposer l’unique lingala, même pour des zones linguistiques où elle n’est que d’un usage marginal par rapport à, la démographie et à la configuration socioculturelle ? Comment peut-on expliquer qu’un enfant du Kivu, qui apprend à réfléchir en swahili et en français, ce qui est déjà assez pénible, soit obligé d’ajouter une nouvelle barrière linguistique avec une langue qu’il ne connaît même pas ?

En effet, la démarche cognitive sur base des clés de la langue consisterait, pour cet enfant, à réfléchir dans la langue qu’il maîtrise le mieux pour ensuite se transposer sur d’autres langues jusqu’au français qui est la langue du travail en RDC. Sans oublier l’obligation de plus en plus grande de la maîtrise de l’anglais.

Quand la Banque mondiale viole les valeurs de l’Unesco

Nos recherches sommaires nous permettent de situer la dernière intervention de la Banque mondiale du genre en 2008 avec le financement du PARSE (Projet d’Appui au Redressement du Secteur de l’Education) avait pour objectif de « renforcer les capacités institutionnelles et financières du secteur de l’éducation, notamment en apportant une assistance en vue de prévenir toute détérioration ultérieure de la fourniture des services essentiels au niveau de l’éducation primaire ». Grâce à son financement de l’ordre de 150 millions Usd sur cinq ans, ce projet avait permis de fournir des manuels scolaires (un livre de français et un autre de mathématique) pour les enfants du degré élémentaire (1ère et 2ème année). Plus de 14 millions des manuels scolaires furent alors  livrés aux 30 provinces éducationnelles du pays à partir de 2010.

Aucune documentation ne renseigne sur un quelconque projet ayant prévu la production des livres en lingala seulement pour l’ensemble du territoire nationale. Le contraire constituerait une grave transgression des valeurs prônées par l’Unesco, au grand dam de l’humanité tout entière qui voit là la résurgence d’une dangereuse forme d’hégémonie culturelle visant la désaculturation des populations congolaises dans un nouvel élan d’asservissement et d’esclavagisme de pire espèce, puisqu’il s’agit de contrôler et de formater indistinctement la pensée de l’homme contre sa volonté, contre les valeurs qui fondent son altérité et au mieux des intérêts qui ne sont pas les siens.

Les Nations-Unies notent que « la langue et la culture sont des éléments essentiels de notre identité et unissent les communautés et les nations. L’Encyclopaedia Britannica définit la langue comme « un système de symboles oraux ou écrits par lesquels les êtres humains, en tant que membres d’un groupe social et participants à sa culture, s’expriment. Les fonctions du langage comprennent la communication, l’expression de l’identité, le jeu, l’expression de l’imagination et l’expression de l’émotion ».

Et de souligner encore que « la langue et la culture sont étroitement liées et interdépendantes, façonnant la personnalité et servant à transmettre le savoir. Elles contribuent à la perception que nous avons des autres et peut déterminer le groupe avec lequel nous nous identifions »

De ce fait, la préservation de la diversité culturelle et linguistique est un impératif, une ligne rouge que nul n’a le droit de franchir.  Cette obligation de préservation est fondée sur l’article 55 de la Charte des Nations Unies qui souligne que la coopération culturelle internationale ainsi que le respect universel des droits de l’homme sans distinction de race, d’âge, de sexe, de langue ou de religion sont des conditions nécessaires au bien-être de tous.

Les fondements de la démocratie menacés

Par ailleurs, ainsi que le fait observer Lambert Mende, cette tentative de désacutluration des peuples touche jusqu’aux fondements mêmes de la démocratie qui suppose la capacité des peuples à disposer d’eux-mêmes. Une capacité fondée donc sur leurs valeurs dont le vecteur centra et le témoin n’est autre que la langue, cette même langue qui est la porte d’accès à la pensée.

Eloigner un peuple de sa langue, c’est l’éloigner de ses valeurs et des fondements de sa pensée pour l’engager dans les dédalles d’une soumission à laquelle les atetela s’opposent depuis des temps immémoriaux comme le prévient encore Lambert Mende. Il faut dire alors qu’avec ce projet d’enseignement en langue unique du lingala est de nature à provoquer une vague de révoltes à travers le pays et que personne ne saura contrôler.

Il revient donc à la Banque mondiale de reconsidérer ce projet conflictogène pour préserver le peu de quiétude dont jouissent encore les Congolais afin de ne pas porter la responsabilité de la déflagration qui pourrait découler de ses politiques éducationnelles d’un autre âge.

Yvon Ramazani

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